La prière de demande

Dieu qui est immuable (Mal 3, 6 ; Jc 1, 17), peut-Il se laisser fléchir par notre prière ? Autrement dit, la liberté humaine peut-elle prétendre changer la volonté divine par la prière ? De plus, pourquoi demander quelque chose à Dieu qui, selon les paroles mêmes de Jésus, sait ce dont nous avons besoin avant même que nous le lui demandions (Mt 6, 8) ? Pourquoi Dieu, qui n'a pas besoin de notre prière, la veut-Il ? Car c'est un fait, le Seigneur veut que nous le prions, comme en témoigne par exemple l'exhortation du Christ en Lc 10, 2 : « Priez le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson ». Comment donc comprendre la prière de demande ?

Dans le Nouveau Testament, les évangiles montrent que Jésus n'accède pas à la demande de certaines personnes. Ainsi pour un possédé qu'il vient de délivrer de ses démons (Mc 5, 18-19 // Lc 8, 38-39) ; de même avec la mère de Jacques et Jean (Mt 20, 20-23). S. Paul a vu l'une de ses prières, pourtant insistante, repoussée (2 Co 12, 7-8) ; il livre néanmoins la sagesse qui a présidé au refus du Seigneur : cette écharde lui a été laissée afin qu'il ne s'enorgueillisse pas (v. 7) et sache que sans la grâce il ne peut rien, donc qu'il apprenne à ne mettre sa confiance qu'en Dieu pour son œuvre d'évangélisation. De la sorte, il indique non seulement que le Seigneur n'agit pas de manière arbitraire, mais qu'Il a ses chemins qui ne sont pas les nôtres. Quelles que bonnes soient nos intentions, elles ne peuvent être plus sûres que les intentions divines (Is 55, 8-9 ; Pr 16, 25 ; 21, 2).

Jésus lui-même, dans sa prière d'agonie au jardin des oliviers, a laissé un exemple de la juste manière de présenter des vœux à Dieu, une manière qui ne nie pas les désirs, qui ne les refoulent pas, mais qui les soumet résolument à la bienveillance du Père des Cieux et au plan divin de Salut, donc qui accepte qu'ils ne soient pas exaucés selon des vues humaines : « Il tomba face contre terre en faisant cette prière : “Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux” » (Mt 26, 39).

L'abandon à la Providence divine, dans la prière comme dans toute la vie, S. Jacques y exhorte : « Vous qui dites : “Aujourd'hui ou demain nous irons dans telle ville, nous y passerons l'année, nous ferons du commerce et nous gagnerons de l'argent !” Vous qui ne savez pas ce que demain sera votre vie, car vous êtes une vapeur qui paraît un instant, puis disparaît. Que ne dites-vous au contraire : “Si le Seigneur le veut, nous vivrons et nous ferons ceci ou cela” » (Jc 4, 15).

L'exaucement comme le non-exaucement sont une manifestation de l'Amour de Dieu pour nous.
« Lorsque nous supplions Dieu avec foi, pour obtenir des choses nécessaires à cette vie, c'est la miséricorde qui nous exauce, et la miséricorde encore qui se refuse à nous exaucer, car le médecin sait mieux que le malade ce qui est utile à sa faiblesse », dit S. Augustin. Chacune de nos demandes doit être accompagnée de notre soumission à la volonté divine, donc de l'acceptation de ne pas être exaucé en telle demande particulière. Sans la recherche première de l'union à Dieu dans la prière, la demande risque de n'être qu'une formule magique cherchant à faire main basse sur le Très-Haut.

« La prière chrétienne est coopération à la Providence [divine], à son dessein d'amour pour les hommes » (
CEC n° 2738). Elle est le moyen principal donné à l'homme pour collaborer à l'œuvre de la grâce. « Notre prière n'a pas pour but de changer le plan de Dieu, mais d'obtenir par nos prières ce qu'il a décidé de nous donner » (S. Thomas d'Aquin). Ce qui change par la prière, ce n'est pas Dieu, mais l'homme qui prie. Par la prière, l'homme qui prie est rendu capable de recevoir.

Dieu ne veut pas une chose parce que nous l'avons demandée, mais Il veut qu'elle soit par notre demande. « Il attend notre demande parce que la dignité de ses enfants est dans leur liberté » (
CEC n° 2736). La prière est un instrument pour collaborer à l'accomplissement de la volonté divine dans le monde. Dieu la veut comme un moyen de faire du bien dans le monde. La vraie prière est inspirée par Dieu. C'est pourquoi la spiritualité chrétienne est d'abord une spiritualité de l'écoute, de l'accueil de la Parole divine et du consentement à cette Parole pour collaborer à ce que Dieu attend de nous.

 

Saint Augustin a écrit une magnifique lettre sur la prière que l'on pourra lire ici : Lettre de saint Augustin à Proba Lettre de saint Augustin à Proba.