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LES SACREMENTS, SIGNE ET CAUSE DE LA GRÂCE

 

Introduction

 

Dans cette thèse, nous traiterons des sacrements tout d'abord comme signe, puis comme cause de la grâce. C'est dire que nous chercherons avant tout à présenter, de manière générale, les sacrements de la Nouvelle Alliance instaurée par le Christ. En effet, s'ils étaient bien des signes, parce que par eux la foi salutaire dans le Christ à venir était confessée (cf. ST IIIa, q. 61, a. 3), cependant les sacrements de l'âge de nature et ceux de l'Ancienne Alliance ne conféraient pas la grâce.

 

Le sacrement : un signe

 

Après une brève analyse des notions de signe et de symbole, nous appliquerons celles-ci au sacrement en général, puis nous verrons les éléments constitutifs du signe sacramentel, leur mode d'unité, leur application aux divers sacrements, enfin la triple signification des sacrements chrétiens.

 

1- Analyse de la notion de signe

 

a) La notion de signe

 

Un signe, avant d’être un signe, est d’abord une chose ayant valeur par elle-même. La fumée est elle-même avant d’être le signe du feu. Ainsi, la notion de signe est ajoutée et non pas première. L’être-signe est accidentel, alors que l’être-chose est essentiel. Dire que la fumée est un signe, c’est lui donner une propriété qui s’ajoute à son être propre. Ainsi, pour qu’il y ait signe, il faut d’abord qu’il y ait la chose elle-même ; de ce fait, l’altération de la chose altère également le signe.

 

La chose qui est dite “signe” a toujours une relation à une autre chose qu’elle-même : la fumée, parce qu’elle est l’effet du feu, a une relation de causalité avec le feu ; sans cette relation, l’être-chose ne peut pas devenir être-signe. La relation n’est pas toujours causale ; par exemple, il peut s’agir d’une relation de similitude. Soulignons aussi que la fumée n’étant pas le feu, la relation est duelle : on est toujours le signe d’autre chose.

 

b) Les divisions du signe

 

Signe naturel et signe conventionnel

 

On distingue le signe naturel du signe conventionnel. Le signe naturel est un signe dans lequel la relation entre le signe et le signifié est réelle. Dans ce cas, l’être-chose du signe porte en lui-même l’être-signe : la fumée en elle-même est l’effet du feu. Le signe conventionnel, lui, est un signe dans lequel la relation entre le signe et le signifié est établie par l'homme selon certaines conventions, souvent sociales. Par exemple, on peut décider que le drapeau est signe de la patrie. Il faut encore noter qu’un même signe peut être à la fois naturel et conventionnel : les signaux de fumée sont un langage pour certains peuples : sur une base naturelle se fonde une élaboration culturelle.

 

Signe spéculatif et signe pratique

 

On distingue encore entre signe spéculatif et signe pratique. Le signe spéculatif transmet uniquement une connaissance et influe sur la seule intelligence spéculative. Par exemple, il y a signe spéculatif lorsque je fais signe qu’une personne attendue arrive. Quant au signe pratique, il transmet en plus une intention de la volonté. Par exemple, il y a signe pratique lorsque je fais signe à quelqu’un d’entrer dans la pièce ; mon signe manifeste une chose à faire ou en train de se faire. La connaissance du signe est ici ordonnée à une action. On appelle également ce signe pratique « signal ». Il faut aussi noter que le signe pratique n’est pas de lui-même une cause efficiente, mais qu’il a pour but d’éveiller l’intelligence pratique. Il signifie une causalité à exercer : en faisant signe à quelqu’un d’entrer, je lui signifie d’exercer sur lui une force motrice qui, elle, est efficiente. Seule la volonté peut mouvoir ; or, le signe est toujours de l’ordre de la connaissance.

 

2 - Analyse de la notion de symbole

 

Le mot symbole vient du verbe grec symballô qui signifie « mettre ensemble, réunir ». Quant au substantif symbollon, il désigne l’objet qui évoque une autre chose. Le symbole est un signe sensible qui signifie du supra-sensible et qui est fondé sur une relation de similitude avec la réalité signifiée. Mais il est plus large que le signe, parce qu'il frappe également l’imagination et l’affectivité. Il ne sollicite pas la connaissance dans le seul but de connaître, mais également afin d’éveiller un désir : la blancheur de la statue de Marie me fait connaître sa pureté, mais elle me donne également le désir de tendre à cette pureté.

 

3 - Application des notions de signe et de symbole au sacrement

 

Le sacrement est un signe sensible. Mais, pour être signe, selon ce que nous avons vu, il doit d’abord être un être-chose. À la base, il a une signification naturelle : l’eau lave, elle est donc ordonnée à être signe de pureté et de propreté. Mais sur cette base s’établit une élaboration fondée non sur la culture (cf. notre exemple des signaux de fumée), mais sur la Révélation : la pureté est une purification du péché originel. La signification naturelle de l’eau a été établie par Dieu Créateur, alors que la signification conventionnelle a été établie par le Christ, Dieu Rédempteur.

Le sacrement est également un signe pratique car il est ordonné à signifier une action, une intention divine à notre égard qui passe à l’acte, à savoir notre sanctification. De ce fait, nous parlons du sacrement comme signe d’une efficience, celle de l'action divine, et non pas comme signe efficace, car le signe en lui-même ne produit rien.

 

Enfin, le sacrement est un symbole. En effet, il est signe sensible d’une réalité non sensible, la grâce. Bien que le signifié premier soit la grâce sacramentelle actuellement donnée, le sacrement signifie également les gestes passés du Christ ainsi que l’espérance de son retour dans la Gloire.

 

4 - Les éléments constitutifs du signe sacramentel

 

Un sacrement utilise en général des éléments sensibles matériels (la pénitence et le mariage semblent n’en utiliser aucun). Le plus souvent, il est constitué d’un geste sur une matière, geste toujours accompagné d’une parole, le rôle de cette dernière étant de donner la signification du geste. On dit toujours que le sacrement est le signe visible d’une réalité invisible. Par là, on affirme qu’il y a une unité profonde entre les différents éléments de signification, la matière et la forme, du sacrement, chacun déterminant l’autre.

 

5 - Le mode d'unité des éléments de signification (matière et forme)

 

Bien que les éléments de signification soient divers, il est légitime de parler de « signification sacramentelle » au singulier, car les éléments de signification sont unis autour de la signification. Celle-ci est composée d'éléments sensibles, à savoir la matière, le geste et les paroles, et bien que la même matière puisse avoir de nombreuses significations naturelles, les paroles sacramentelles apportent une détermination précise. Dans le sacrement, la matière consiste en l’élément matériel mis en œuvre par le geste, alors que la forme est constituée par les paroles sacramentelles. Dans la composition du signe sacramentel, les paroles sacramentelles posent une détermination précise dans les multiples significations possibles de la matière. Toutefois, la signification finale ne vient pas seulement de la forme, mais également de la matière. Il est donc nécessaire d'associer les éléments de signification, la matière, les gestes et les paroles, afin d'obtenir la signification sacramentelle. C'est l'unité de ces trois éléments qui forme une signification proprement sacramentelle.

 

6 - Application aux divers sacrements

 

L'application de la distinction matière, geste et paroles ne pose pas problème dans cinq des sept sacrements, à savoir le Baptême, la Confirmation, l'Eucharistie, l'Onction des malades et l'Ordre. Quant aux sacrements de la Pénitence et du Mariage, l'application est plus complexe, car aucun élément matériel n'est utilisé, voire pas même de geste.

 

7 - La triple signification des sacrements chrétiens

 

Selon la doctrine patristique, les sacrements chrétiens ont une triple signification : ils sont des signes des mystères du Christ (passé), des fruits de la rédemption en nous (présent), et des gages de la gloire céleste (futur). Ils sont le signe de notre foi en la rédemption du Christ qui s’accomplit dans les personnes qui célèbrent le sacrement. Les actes sauveurs du Christ sont signifiés par les sacrements, non pas seulement dans leur aspect historique (commémoration seule), mais en tant que source constamment actuelle du don de la grâce, qui est elle-même comme des arrhes de l’épanouissement eschatologique : c’est l’avenir qui se réalise dans le présent sur la base du passé. D'où les adages de la théologie sacramentaire devenus classiques :

 

  • Sacramenta efficiunt quod figurant : les sacrements réalisent ce qu'ils figurent.

  • Significando, causant : en signifiant, ils causent.

Le sacrement : cause de la grâce

 

Selon S. Thomas d'Aquin, « le sacrement [...] est le signe d’une réalité sacrée qui est sanctifiante pour les hommes » (IIIa, q. 60, a. 2). En ce sens, comme nous l'avons noté en introduction, les sacrements de l'âge de nature et de l’Ancienne Alliance sont des sacrements. Toutefois, les sacrements chrétiens ne sont pas seulement des signes. Ils causent effectivement la grâce ou encore ils la confèrent. Pour mieux comprendre cette affirmation, nous commencerons ici par distinguer la grâce sanctifiante de la grâce sacramentelle, puis nous étudierons la causalité sacramentelle.

 

1 - Grâce sanctifiante et grâce sacramentelle

 

La théologie classique distingue entre la grâce sanctifiante qui justifie (grâce des vertus théologales et des dons du Saint-Esprit) et la grâce sacramentelle. La grâce sanctifiante n’est pas strictement liée aux sacrements chrétiens. Les juifs, avant le Christ, recevaient la grâce sanctifiante directement de Dieu, en particulier par la foi dans le Christ qui devait venir, et ils la confessaient dans la célébration de leurs sacrements (circoncision, agneau pascal…). Leurs sacrements étaient des signes de la grâce déjà donnée et agissante. La grâce sacramentelle, elle, dérive directement de la Passion du Christ et, outre qu’elle accroît la grâce sanctifiante, elle ajoute sa note propre : elle est un remède particulier contre les déficiences (péchés ou manques) et un perfectionnement de la vie sur-naturelle ; elle insère dans la vie et le culte inséparablement visible et invisible de l'Église.

 

2 - La causalité sacramentelle

 

Quand S. Thomas enseigne que « le sacrement [...] est le signe d’une réalité sacrée qui est sanctifiante pour les hommes », il faut comprendre qu'il est une expression extérieure d’une réalité de grâce intérieure. C’est un signe pratique qui exprime la présence d’une réalité intérieure de la grâce dans l’âme. Il n’y a rien de causal efficient dans le signe, il se borne à exprimer extérieure-ment une disposition intérieure.

Cette précision permet une clarification : les sacrements de l’âge de nature, les sacrements juifs ou les sacrements chrétiens, se distinguent spécifiquement de beaucoup d’autres signes d'une réalité sacrée. La création par exemple est signe d’une réalité sacrée, à savoir la bonté et la sagesse du Créateur. Mais elle n’est pas sacrement parce que le signe qu’elle est ne dit pas cette réalité sacrée en tant que sanctifiant l'homme ; de même, les signes sacrés juifs qui signifiaient la sainteté du Christ à venir, mais non pas en tant que devant nous sanctifier ; seuls les signes juifs du Christ devant venir nous sanctifier peuvent être dits sacrements (par ex. l’agneau pascal). Il en va de même encore pour beaucoup d’autres signes sacrés chrétiens qui n’expriment pas la grâce agissante, mais disposent à l’action de la grâce (les sacramentaux : l’eau bénite, la consécration d’un autel…).

 

Les notions de signification et de causalité, réellement distinctes, sont en relation très intime dans les sacrements. Toutefois; l’efficacité causale ne fait pas partie de l'essence du signe qu'est le sacrement chrétien. Elle ne lui est pourtant pas non plus accidentelle, car la foi de l'Église enseigne que l’efficacité de grâce appartient nécessairement au sacrement chrétien. S. Thomas le note : « Il est nécessaire de dire que les sacrements de la Loi Nouvelle, de quelque façon, causent la grâce » (IIIa, q. 62, a. 1). De là, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire aux sacrements chrétiens, comme sacrements, d’être efficaces, mais il est essentiel aux sacrements chrétiens, comme chrétiens, c’est-à-dire comme institués par le Christ, d’être utilisés par lui comme cause de salut. Autrement dit, l’efficacité ne découle pas de l’essence des sacrements (signes seulement), mais elle est une propriété transcendante, surnaturelle, surajoutée par le Christ : Dieu a voulu, dans le Christ, en instituant ces signes, que dans leur rôle de signification ils soient en outre producteurs de ce qu’ils signifient.

 

La raison de cette institution par le Christ semble tenir au fait que le sacrement chrétien est un signe de la Passion accomplie du Christ. L’acte du Christ a déjà été posé et il est signifié par le sacrement. Autrement dit, le sacrement chrétien possède une efficacité intérieure parce qu’il est la signification établie par le Christ de sa volonté de salut exprimée et réalisée sur la croix. La signification sacramentelle est au fondement de la causalité, et cette causalité signifiée est celle du Christ ; c’est lui qui agit dans les sacrements comme il a agi au temps de sa vie terrestre. Il y a dans cette causalité, en raison du mystère personnel du Christ, deux niveaux :

 

  • Selon qu’il est Dieu, il est la cause principale : nul ne peut causer la grâce sinon Dieu.

  • Selon qu’il est homme, il est la cause instrumentale mise en mouvement par Dieu pour causer son effet.

Si la cause principale ne peut pas être dite signe de son effet (le feu n’est pas signe de la fumée), la cause instrumentale, elle, si elle est visible (c’est le cas de l’humanité du Christ et du rite sacramentel), est le signe d’un effet caché : la grâce. La cause instrumentale est aussi, de quelque façon, l’effet de la cause principale. On a donc le schéma suivant :

 

  1. Dieu – cause principale – non signe.

  1. L’humanité du Christ – le rite sacramentel – cause instrumentale :

  • Signe de la cause principale (de la motion de la cause principale, visibilité de la volonté divine de salut).

  • Signe de son effet : la grâce.
  1. L’effet final – la grâce :

  • invisible in se.

  • visible dans ses effets (les œuvres).

Conclusion

 

Le sacrement est signe du mystère accompli du Christ et s’accomplissant actuellement dans la personne qui le reçoit en vue de la gloire eschatologique. Le signe, c’est le mystère accompli une fois pour toutes ; la cause, c’est l’actualité présente de ce mystère ; le mystère, c’est le tout.

 

Cette définition du sacrement par le signe qui, en raison de ce qu’il signifie, désigne aussi une efficience, sera reçu unanimement par tous les théologiens après S. Thomas. Par contre, le mode précis de causalité sera très discuté ; la causalité instrumentale de S. Thomas ne sera pas adoptée par tous, et bien des auteurs, principalement dans l’École franciscaine à la suite de Duns Scot, proposeront d’autres types de causalité.