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Mt 9, 9-13

 

 

« Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? » Ne nous y trompons pas, cette question des pharisiens aux disciples de Jésus n'a rien d'une banale demande de renseignement, ni d'une simple éruption de curiosité. Dans la bouche de ces intégristes religieux, elle est déjà un reproche. Les pharisiens !... Toujours prêts à s'indigner du comportement des autres, à guetter leur faux pas, à les juger, à les mépriser... Toujours attachés à un comportement uniforme, vétilleux, rigoriste... Et ceci, au nom de Dieu ! La sottise et la dureté, voilà en fait ce qui caractérise le mieux leur culture et leur culte du paraître. Combien de fois Jésus ne les a-t-il pas qualifier d'hypocrites ! L'Évangile selon S. Matthieu est de loin celui dans lequel se trouve le plus souvent cette invective à leur adresse[1]. Le Christ va même jusqu'à les comparer à des sépulcres blanchis : « Au dehors ils ont belle apparence, mais au dedans ils sont pleins d'ossements de morts et de toute pourriture ; vous de même, au dehors vous offrez aux yeux des hommes l'apparence de justes, mais au dedans vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquité » (Mt 23, 27-28). Comprenons que si les pharisiens posent des actes moraux et religieux apparemment droits et louables aux yeux des hommes, leurs intentions sont en réalité perverses et désagréables à Dieu.

 

En Mt 9, 9-13, Jésus le leur signifie par une Parole divine tirée du prophète Osée : « C'est la miséricorde que je désire et non les sacrifices ». Leur question « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? » trahit en effet la sécheresse de leur cœur et leur méconnaissance du Dieu de l'Alliance qui s'était révélé à Moïse comme « miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité » (Ex 34, 6). Comment Jésus, le miséricordieux fait chair, ne s'en indignerait-il pas ? Il renvoie donc ces pseudo-spécialistes de l'Écriture, qui croient agir au nom de Dieu, à leur leçon : « Allez apprendre ce que veut dire cette parole... ». Ce faisant, il les invite à une conversion et à l'adoption des véritables mœurs divines qu'il incarne, lui, en plénitude.

 

Quelles sont les caractéristiques de ces mœurs ? Elles se résument en l'amour sans condition, en la confiance sans mérite préalable. Nous le constatons tout d'abord dans la vocation de Matthieu. Jésus ne fait que le voir à son bureau de collecteur d'impôts et, sans la moindre question, le presse de le suivre pour devenir un disciple et un apôtre, un dispensateur des richesses de Dieu. Bien sûr, comme l'écrira S. Paul aux Corinthiens, « ce qu'en fin de compte on demande à des dispensateurs, c'est que chacun soit trouvé fidèle » (1 Co 4, 2), c'est-à-dire, non pas de « mériter confiance », comme le porte regrettablement la traduction liturgique, mais de se montrer digne de la confiance qui lui a été faite. L'on ne peut toutefois être fidèle, devenir serviteur de la confiance, que si la confiance nous prévient. L'on ne peut se montrer responsable que si l'on nous responsabilise. Ceci est vrai du simple point de vue psychologique et naturel. Ce ne l'est pas moins du point de vue théologique et surnaturel. La confiance divine envers tout homme n'est autre que la grâce dont le Seigneur aspire à combler son cœur. Parce que Dieu nous aime le premier, nous pouvons lui rendre amour pour amour. Commentant la première épître de Jean, S. Augustin écrivait : « “Dieu a fait paraître son amour pour nous”. Voilà pour nous un motif d'aimer Dieu. Pourrions-nous l'aimer, s'il ne nous avait aimés le premier ? [...] Il nous a aimés, quoique pécheurs, mais pour nous délivrer de nos fautes. Il nous a aimés, bien que nous fussions malades ; mais s'il nous a visités, c'était afin de nous guérir » (7, 7).

 

L'amour prévenant de Dieu et sa confiance inconditionnelle, nous les constatons encore en Jésus qui accueille les publicains et les pécheurs à sa table. Il est intéressant de remarquer que le verbe grec, anakeimai, « être à table », employé ici pour la première fois dans l'évangile selon S. Matthieu, s'y rencontre finalement lors de l'institution de l'eucharistie (cf. 26, 20). Jésus mange avec les publicains et les pécheurs afin de leur montrer la gratuité de l'amour divin, les amener à la foi en sa divinité et aux regrets de leurs fautes, les guérir par le pardon et les élever à une autre table, celle de son Corps et de son Sang où il se confie entièrement à chacun[2] sous les modestes espèces du pain et du vin. L'eucharistie est en effet aux antipodes de la culture et du culte mortifères du paraître. Au dehors, rien qui flatte le regard, au dedans la Vérité et la Vie, le sacrifice et la miséricorde. L'origine de ce don, l'origine d'une telle confiance, le Christ nous l'a révélée en cette parole rapportée par S. Matthieu : « Tout m'a été confié paradidômai par mon Père[3] » (11, 27). La confiance temporelle du Fils prend sa source dans la confiance éternelle du Père.


[1] Mt 6, 2.5.16 ; 15, 7 ; 22, 18 ; 23, 13.15.23.25.27.29.

[2] Cf. S. Augustin, Traité sur l'Évangile selon S. Jean 11, 3.

[3] Traduction liturgique.