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ANALYSE MORALE DE L'ACTE HUMAIN

 

INTRODUCTION

 

Créé à l'image de Dieu, c'est-à-dire doué d'intelligence, de volonté et de libre-arbitre, l'Homme est comme « le père de ses actes » (CEC 1749). Par eux, dans ce qu'ils ont de spécifiquement humains, il s'avance vers la Béatitude divine à laquelle le convie son Créateur s'ils sont bons, ou s'en détourne s'ils sont mauvais. Mais qu'est-ce qu'un acte humain, comment se divise-t-il, et de quoi dépend sa bonté ou sa malice, c'est ce que nous allons exposer.

 

L'ACTE HUMAIN

 

Selon une division devenue classique depuis saint Thomas d'Aquin (Cf. Somme de Théologie, Ia IIae, q. 1, a. 1), l'activité de l'Homme se répartit en deux grandes classes : les actes de l'Homme et les actes humains.

 

Les actes de l'Homme

 

Ce sont tous les actes qui ne distinguent pas l'Homme des autres êtres vivants dépourvus de raison, qui relèvent, autrement dit, de sa vie végétative et sensitive, et s'accomplissent indépendamment de son vouloir. La respiration, la digestion, la perception sensible sont des actes de l'Homme.

 

Les actes humains

 

Ce sont tous les actes propres à l'Homme et qui le distinguent spécifiquement des formes de vie inférieures. Ils relèvent de ses puissances spirituelles, l'intelligence et la volonté. L'acte humain procède d'une volonté éclairée par l'intelligence, d'une volonté délibérée, et en tant que tel il est moralement qualifiable. Avant d'en venir aux sources de la moralité de l'acte humain, voyons tout d'abord comment il se divise.

 

LES GRANDES DIVISIONS DE L'ACTE HUMAIN

 

L'étude de l'acte humain telle qu'elle se trouve dans la Somme de théologie de saint Thomas d'Aquin constitue, comme le note le Père Servais Pinckaers, « l'analyse la plus fouillée et la plus complète qu'on ait jamais faite de l'agir humain au plan moral.[1]» C'est donc elle que nous suivrons ici.

 

L'acte humain, avons-nous vu, est un acte volontaire. Or, il existe deux types d'actes volontaires : d'une part, celui qui procède immédiatement de la volonté, qui est émis par elle et qu'on appelle « acte élicite ou intérieur » ; d'autre part, celui qui est commandé par la volonté et qu'on appelle « acte impéré ou extérieur » (Ia IIae, q. 8, prologue).

 

L'acte élicite ou intérieur

 

L'acte élicite porte à la fois sur la fin que poursuit la volonté, et sur les moyens qui y mènent. Trois parties de cet acte concernent la fin (le vouloir, la jouissance et l'intention), trois autres les moyens (le choix, le consentement, l'usage). Ces six parties de l'acte élicite liées à la volonté se combinent avec six autres parties (appréhension, ordination, délibération, jugement, commandement, vision) en dépendance de l'intelligence pour former l'acte l'humain complet. La structure de celui-ci se compose donc de 12 actes partiels qui s'enchaînent en s'interpénétrant et tout son discours tient entre la fin appréhendée et voulue intentionnellement et la fin possédée actuellement. L'acte intérieur est spécifié par la fin vers laquelle il se porte.

 

L'acte impéré ou extérieur

 

L'acte impéré (du latin imperium, commandement) est accompli sous l'impulsion de la volonté par les autres facultés de l'Homme avec la participation de son corps. Il réalise l'intention du sujet et est déterminé par l'objet en tant que tel vers lequel il se porte. Alors que la fin est le principe formel de l'activité humaine, l'objet en est son principe matériel. Cette distinction s'avère capitale dans l'analyse moral de l'acte humain. Saint Thomas l'exprime ainsi : « ce qui provient de la volonté est comme la forme de ce que réalise l'acte extérieur, parce que nos membres sont les instruments dont la volonté se sert pour agir ; et les actes extérieurs ne sont moraux que dans la mesure ou ils sont volontaires. C'est pourquoi l'espèce des actes moraux résulte formellement de la fin, et matériellement de l'objet de l'acte extérieur » (Ia IIae, q. 18, a. 6).

 

La distinction entre « fin » et « objet » de l'activité humaine en est suivie de deux autres : d'une part, la distinction entre fin prochaine et fin éloignée, et d'autre part celle entre objet générique et objet spécifique. Toutes deux permettent de mieux qualifier moralement l'acte humain.

 

Fin prochaine et fin éloignée

 

Dans l'acte intérieur de la volonté, la fin prochaine se rapporte à ce qui est directement visé par cet acte et spécifie moralement ce dernier (Cf. Ia IIae, q. 1, a. 3, ad. 3), alors que la fin éloignée s'identifie au motif de l'acte. Par exemple, dans le cas de la légitime défense, vouloir protéger sa vie constitue la fin prochaine de l'acte, tandis que vouloir blesser ou tuer l'agresseur en constitue la fin éloignée.

 

Objet générique et objet spécifique

 

Dans l'acte extérieur de la volonté, l'objet générique est la matière dont l'action est faite (materia ex qua) tandis que l'objet spécifique est la matière que l'action concerne (materia circa quam) et c'est lui qui justement spécifie moralement l'acte. Si l'on reprend le cas de la légitime défense, l'objet générique s'assimile au fait de blesser ou de tuer, l'objet spécifique à celui de protéger sa vie.

 

Maintenant que nous avons exposé ce qu'est un acte humain et comment il se divise, nous sommes à même de l'étudier selon sa valeur morale, c'est-à-dire selon sa distinction en actes bons et mauvais.

 

LES SOURCES DE LA MORALITÉ DE L'ACTE HUMAIN

 

Selon le Catéchisme de l'Église catholique, la moralité de l'acte humain relève de trois sources : l'objet choisi (au sens de materia circa quam), la fin visée ou intention (au sens de « fin prochaine »), les circonstances de l'action.

 

L'objet de l'acte humain

 

L'objet de l'acte humain est un bien réel ou appréhendé comme tel par l'intelligence, vers lequel la volonté se porte de manière délibérée. Dans la mesure où il est conforme à la droite règle de la raison, par exemple dans le fait d'honorer son père et sa mère, il rend l'acte bon, dans le cas contraire, comme dans le meurtre, il le rend mauvais.

 

La fin ou intention de l'acte humain

 

L'intention se trouve dans la personne qui agit et porte sur le but qu'elle poursuit. Elle touche non seulement la conduite de ses actions singulières, mais aussi son ordonnance d'actions multiples vers une même fin, et au plus haut point la Béatitude divine fin ultime de l'activité humaine. Elle est « un élément essentiel dans la qualification morale de l'action » (CEC 1752) :

  • L'intention mauvaise : rend mauvais un acte qui, de soi, peut être bon. Par exemple, l'aumône faite dans le but d'en être humainement loué.

  • L'intention bonne : ne suffit pas à rendre bon un acte objectivement mauvais. Par exemple, le désir de soulager quelqu'un de ses souffrances ne justifie pas le recours à l'euthanasie qui est un meurtre.

 

Les circonstances de l'acte humain

 

À la suite de Cicéron, saint Thomas d'Aquin énumère sept circonstances, « Qui, quoi, où, par quels moyens, pourquoi, comment, quand » (Ia IIae, q. 7, a. 3.) dans lesquelles il inclut l'objet (quoi) et la fin (pourquoi). Le Catéchisme de l'Église catholique met quant à lui ces deux derniers à part et réserve le terme de « circonstances » aux cinq autres éléments en y ajoutant « les conséquences » de l'acte (Cf. n° 1754) sans toutefois donner une liste exhaustive. Les circonstances entendues en ce dernier sens constituent les éléments secondaires de l'acte moral. Elles ne le spécifient pas, mais contribuent à augmenter ou à diminuer sa bonté ou sa malice. Par exemple, l'acte bon de nourrir un bébé est rendu meilleur du fait qu'on le pose en pleine nuit alors qu'une part de nous-mêmes réclame pourtant de continuer à dormir ; l'acte mauvais de voler 500 euros est plus grave si cette somme est dérobée à un pauvre plutôt qu'à un milliardaire.

 

De même, les circonstances peuvent amoindrir ou accroître la responsabilité de la personne qui agit. Par exemple, en temps de guerre, le soldat qui livre des informations secrètes à l'ennemi sous l'effet de la torture voit sa responsabilité atténuée ; le médecin qui se trompe dans un traitement curatif parce qu'il a négligé ses études voit sa responsabilité augmentée. Il faut enfin noter qu'en aucun cas les circonstances ne peuvent modifier la qualité morale de l'acte lui-même. Elles ne peuvent rendre bon ou mauvais un acte intrinsèquement bon ou mauvais.

 

CONCLUSION

 

L'analyse de l'acte moral telle que nous venons de l'exposer est devenue classique comme en témoigne le Catéchisme de l'Église catholique. Elle doit beaucoup au travail de saint Thomas d'Aquin en ce domaine, notamment dans la mise en valeur de la fin comme élément essentiel de l'action humaine.

 

BIBLIOGRAPHIE

  • Catéchisme de l'Église catholique, n° 1749-1761.

  • PINCKAERS S., Le renouveau de la morale, chap. III : « Le rôle de la fin dans l’action morale selon saint Thomas », Paris, 1964.

  • ST THOMAS D'AQUIN, Somme de Théologie, Les actes humains, Ia IIae, Q 6-21, Cerf, 1984.

[1] Cf. Somme de Théologie, Cerf, 1984, p. 63. Cette étude s'étend des questions 6 à 21 de la Ia IIae.

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