NATURE DE L'ESPÉRANCE

 

Introduction

 

Le Catéchisme de l'Église catholique définit l'espérance comme « la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle, en mettant notre confiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit » (CEC 1817). En nous s'appuyant sur l'étude de cette vertu réalisée par S. Thomas d'Aquin (Cf. IIa IIae, q. 17-18), nous essaierons d'expliciter la présente définition en considérant tout d'abord l'espoir comme passion, puis l'objet de l'espérance, la vertu d'espérance, sa certitude, et enfin l'espérance pour autrui.

 

L'espoir comme passion (Cf. Ia IIae, q. 40)

 

L'analyse de l'espoir comme passion aidera à mieux saisir ce qu'est l'espérance comme vertu théologale. En tant que mouvement de l'appétit irascible, l'espoir est une passion de lutte et de conquête dont l'objet présente plusieurs caractéristiques :

 

  • La bonté : réelle ou supposée telle. On n'espère jamais un mal, sinon en vue d'un bien.

 

  • L'absence : l'espoir porte sur un bien futur et il disparaît en présence de son objet. On ne peut espérer ce que l'on possède déjà.

 

  • La difficulté : ce bien n'est pas seulement absent, il est aussi ardu, difficile à obtenir. En cela, il ne se confond pas avec le simple désir. Il ajoute à celui-ci « un certain effort et une certaine tension de l'âme en vue du bien difficile à obtenir » (Ia IIae, q. 25, a. 1).

 

  • La possibilité : par là, l'espoir se distingue du désespoir qui lui aussi porte sur un bien absent et ardu, mais juge son objet impossible à atteindre.

 

Cette dernière caractéristique tient au motif de l'espoir, ce à raison de quoi on espère et qui rend possible l'obtention du bien absent et ardu : soit nos propres forces, soit le secours d'autrui. Se comprend ici le rapport de l'espoir à l'amour : « en tant que l'espoir regarde le bien espéré, l'espoir est causé par l'amour, car on n'espère que le bien qu'on désire et qu'on aime. Mais dans la mesure où l'espoir regarde celui qui nous rend une chose accessible, c'est l'amour qui est causé par l'espoir » (Ia IIae, q. 40, a. 7). L'espoir en effet que nous mettons en celui qui peut nous aider nous conduit à l'aimer. Nous allons voir que tous ces éléments se retrouvent dans la vertu d'espérance qui porte sur le Bien ultime et s'appuie sur Lui pour en jouir.

 

L'objet de l'espérance (Cf. IIa IIae, q. 17, a. 2 et 4)

 

L'espérance, comme l'espoir, a deux objets : un bien ardu convoité (ce qui est espéré ou objet matériel) et le secours par lequel celui-ci peut être obtenu (ce par quoi on l'espère, objet formel ou motif). Pour chacun, on peut encore distinguer le principal du secondaire.

 

  • Objet matériel : l'objet matériel propre et principal de l’espérance est Dieu lui-même en tant qu'Il est pour l'homme sa Béatitude éternelle. Cet objet est éminemment bon puisqu'il est la Bonté même, mais Il est absent et pour le moins difficile à atteindre car il dépasse infiniment les capacités naturelles de l'âme humaine. Cependant, Il n'est pas impossible à obtenir en raison de l'objet formel de l'espérance ; l'objet matériel secondaire regroupe tous les biens créés dans la mesure où ils sont ordonnés à la Béatitude. C'est ce qui fait écrire à S. Thomas que « nous ne devons les demander à Dieu qu'en les ordonnant à la Béatitude éternelle » (IIa IIae, q. 17, a. 2, ad. 2).

 

  • Objet formel ou motif : l'objet formel principal de l'espérance est le secours surnaturel de la grâce divine qui conduit à la Béatitude. « On n'espère pas obtenir la vie éternelle par son propre pouvoir, ce serait de la présomption, mais par le secours de la grâce dans laquelle, si l'on y persévère, on obtiendra totalement et infailliblement la vie éternelle » (IIa IIae, q. 1, a. 3, ad. 1) ; l'objet formel secondaire comprend les biens créés qui peuvent aider dans la recherche des biens ordonnés à la Béatitude. Parmi ceux-là, viennent tout d'abord les mérites du Christ, puis les mérites et l’intercession de la Vierge Marie et aussi ceux des autres saints.


L'espérance : vertu théologale (Cf. IIa IIae, q. 17, a. 1/5-8)

 

Dire de l'espérance qu'elle est une « vertu théologale », c'est d'une part la désigner comme un habitus bon, et d'autre part affirmer qu'elle a pour origine et pour fin Dieu lui-même. Mais elle ne peut pleinement se comprendre que dans sa distinction des deux autres vertus théologales, la foi et la charité, et dans sa relation avec elles.

 

L'espérance : une vertu ? (Cf. a. 1)

 

Si l'espoir peut tendre vers un faux bien et/ou s'illusionner sur les forces ou les secours à sa disposition, l'espérance, elle, est une vertu parce qu'elle recourt à une aide indéfectible, et atteint la Bonté en soi, Dieu lui-même secourant. Bien que son acte soit imparfait sous le rapport où il ne possède pas encore son objet, il est néanmoins parfait selon qu'il l'atteint conformément à l'état présent de l'homme qui est un état de cheminement vers la Fin ultime.

 

En tant donc qu'elle est une vertu, l'espérance est un habitus opératif bon, une disposition stable à bien agir, qui qualifie en l'occurrence la volonté humaine (Cf. IIa IIae, q. 18, a. 1) et rend bon l'agent et son action. En cela, elle ne se distingue pas des autres vertus de l'appétit spirituel : la justice avec ses vertus annexes (religion, piété...) et la charité. Par rapport aux premières, sa spécificité tient à son origine et à son objet divins.

 

L'espérance : une vertu théologale (Cf. a. 5)

 

À la différence de la vertu cardinale de justice et des vertus qui lui sont rattachées, l'espérance n'est pas une vertu acquise, mais infuse. Elle est un don de Dieu fait à l'homme qui dépasse la nature de celui-ci et l'élève à poser des actes ayant Dieu lui-même pour objet. Par là, elle ne se distingue pas des deux seules autres vertus théologales, la foi et la charité. Sa spécificité par rapport à elles tient à la manière dont elle envisage son objet.

 

L'espérance : deuxième des vertus théologales (Cf. a. 6-8)

 

Alors que la foi a son siège dans l'intelligence, que par elle l'on se porte vers Dieu comme Vérité première, et vers ce qu'il a révélé, et que par la charité l'on aime Dieu plus que tout pour Lui-même, et notre prochain comme nous-mêmes pour l'amour de Dieu, l'espérance, elle, siège dans la volonté et se porte vers Dieu comme Béatitude et moyen efficace d'obtenir celle-ci, seule capable de combler le cœur de l'homme. De là vient que l'espérance est la deuxième des vertus théologales, car elle ne peut désirer Dieu et son secours qu'en les connaissant d'abord par la foi (Cf. IIa IIae, q. 17, a. 7) – ici interviennent les promesses du Christ dont parle la définition du Catéchisme citée ci-dessus – et elle conduit à la charité « en tant que l'espoir d'être récompensé par Dieu excite l'homme à l'aimer et à garder ses commandements » (a. 8). Cependant, en son acte, elle dépend de la charité, et, tout comme la foi, est perfectionnée par elle.

 

La certitude de l'espérance (Cf. IIa IIae, q. 17, a. 6-7 ; q. 18, a. 4)

 

L'espérance n'est possible que chez ceux qui sont en chemin vers la Béatitude en cette vie ou au purgatoire. Qu'elle aboutisse au salut ou à la damnation, dans les deux cas elle prend fin. Il n'y a en effet plus rien à espérer ni pour les bienheureux (q. 18, a. 3) qui sont en possession du Bien même et savent l'être à jamais, ni pour les damnés (q. 18, a. 4) qui sont privés de ce Bien par leur faute et n'ignorent pas la perpétuité de leur châtiment. Chez les uns comme chez les autres, la possession ou la privation relève d'une certitude. Qu'en est-il toutefois de l'espérance des viatores ? Est-elle incertaine ?

 

D'après le Concile de Trente, mais cette doctrine était tenue déjà depuis longtemps, nul en cette vie, à moins d'une « révélation spéciale », nisi ex speciali revelatione (Denz. 1540), ne peut être sûr de son salut. L'issue surnaturelle de chacun lui demeure donc ordinairement incertaine. Cependant, si S. Paul affirme que « l'espérance n'est pas confondue », spes non confundit (Rm 5,5), comment doit-on comprendre cette formule ? Le Père Labourdette note que « c'est la nécessité de concilier ces deux points de doctrine qui a imposé aux théologiens l'élaboration de la notion de la certitude de l'espérance.[1]»

 

S. Thomas connaissait le problème. Il le résout en distinguant un mode essentiel de la certitude propre à la faculté de connaissance, et un mode participatif en toutes les puissances non-connaissantes de l'âme que cette faculté dirige vers leur fin. La certitude de l'espérance relève de ce second mode, puisque la foi l'assure que Dieu veut le salut de tous les Hommes et qu'Il offre à chacun les moyens suffisants pour l'atteindre. « L'espérance tend à sa fin avec certitude, comme participant de la certitude de la foi, laquelle se trouve dans la faculté de connaissance. » (IIa IIae, q. 18, a. 4). Elle est une certitude de tendance, éminente en raison du secours divin toujours offert. Si incertitude il y a, elle ne vient pas de la toute-puissance et de la miséricorde de Dieu, mais du libre-arbitre de l'homme qui peut ne pas correspondre à la grâce et tomber dans le péché, notamment en ne s'appuyant que sur ses propres forces ou en désespérant de l'aide divine.

 

Espérance et Charité : espérer pour les autres(Cf. IIa IIae, q. 17, a. 3)

 

Ce que nous avons dit jusqu'ici sur l'espérance ne regarde à proprement parler que la personne qui est le sujet de cette vertu et qui par elle tend à sa Béatitude éternelle. Nous allons voir maintenant que l'espérance peut concerner autrui en raison de la vertu de charité, qu'il est possible d'espérer pour les autres.

 

L'espérance en elle-même ne touche que le bien propre du sujet parce qu'elle implique un mouvement de l'appétit spirituel, la volonté, vers un bien difficile. On ne peut tendre en effet que vers un bien qui nous est proportionné. À ce point de vue donc, il est impossible d'espérer pour autrui puisque, par définition, il ne se confond pas avec moi.

 

L'amour, à la différence de l'espérance, implique quant à lui une certaine union de l'aimant à l'aimé, dans laquelle l'aimant considère l'aimé comme un autre soi-même. Si cette union d'amour existe entre moi et autrui, alors je peux espérer un bien pour lui comme pour moi-même. À ce point de vue donc, « on peut espérer pour autrui la Béatitude éternelle, en tant qu'on lui est uni par l'amour », et c'est ce qui faisait écrire à S. Paul aux Thessaloniciens : « Quelle est en effet notre espérance, notre joie, la couronne dont nous serons fiers, si ce n'est vous, en présence de notre Seigneur Jésus lors de son Avènement ?[2]»

 

Conclusion

 

Vertu du retour de l'homme vers Dieu, l'espérance tend à la Béatitude éternelle en s'appuyant principalement sur le secours divin qui, toujours offert, la rend certaine et ferme pour éviter à l'homme le désespoir et la présomption face à un bien situé au-delà de ses capacités naturelles. Mue par la charité, elle ne concerne plus seulement la personne en elle-même, mais prend les dimensions du monde, à commencer par les membres du Corps du Christ encore en pèlerinage ici-bas.

 

Bibliographie

 

  • Catéchisme de l'Église catholique, n° 1817-1821 ; 2090-2092.

  • LABOURDETTE M., L'espérance, Cours de théologie morale 9, IIaIIae Qu. 17-22, Toulouse, 1959- 1960.

  • ST THOMAS D'AQUIN, Somme de Théologie, L'espérance, IIaIIae, Questions 17-18, éd. du Cerf, 1985.

[1] L'espérance, Cours de théologie morale 9, IIa IIae Qu. 17-22, Toulouse, 1959- 1960, p. 46.

[2] 1 Th 2, 19.

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